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AVIGNON 2022, LE PUBLIC RESTE LE MAITRE IN DU « OFF ».

Dernière mise à jour : 24 août 2023



Imaginez un grand carrousel avec plus de 1500 manèges répartis au travers de votre village. Chaque manège est une salle de spectacle. Cela s’appelle le festival ‘OFF’.

Le ‘OFF’ d’Avignon permet à de nombreux artistes de vendre, de roder, de créer le spectacle de leur réalité artistique. Les différents comédiens risquent leur chance pour prouver leur art. Toutes les compagnies théâtrales aux histoires et aux expériences très diverses proposent d’énormes disciplines artistiques.

Avignon, durant le mois de juillet, représente un grand enjeu financier avec des perdants et des gagnants pour les saltimbanques de ce grand jeu de la culture. Beaucoup repartiront déçus en ayant dépensé beaucoup d’argent pour la promotion, le gîte et le couvert. Car si Avignon devient une véritable mine d’or pour certains, c’est aussi beaucoup de salles non remplies et beaucoup de déçus. Les restos de la mythique « place de l’horloge » vendent la mozzarella de chez Lidl au prix de ‘Chez Bocuse’.


Comment expliquer les paradoxes qui animent cette ville de façon parfois inexplicable quand on voit le déploiement des efforts réalisés par chacun ?

On trouve de nombreux spectacles à tendance spirituelle qui avouons-le bien cadrent avec la majesté des chapelles et églises d’Avignon. La poésie n’est pas oubliée dans de nombreuses salles. Les scènes ouvertes accueillent musiques en tous genres. Les voyages chorégraphiques et les musiques classiques concilient tradition et modernité. Les quartiers des remparts sont peuplés de spectateurs déambulant, les yeux hagards posés sur les multiples affiches qui inondent les façades de la ville lui donnant une couleur surréaliste. Beaucoup d’artistes ne créent et ne se produisent que durant le mois de juillet provoquant ainsi la fidélité aux nombreux festivaliers qui reviennent chaque année pour les applaudir.


Brassage total d’une population de seniors et d’enfants, de riches et de pauvres, de rigolos et de tristes, de cultures sans race qui devront faire un choix pour dépenser au moins les 17 € en moyenne demandés comme prix d’entrée de ces instants de la culture vivante, insolente et insolite. Les spectacles familiaux ont aussi la cote, obligeant souvent les parents à accompagner très tôt leur progéniture dans les nombreuses salles qui leur proposent marionnettes, clowns, musiciens et acrobates.

En me relisant, je me rends compte que vous pourriez comprendre que le festival 'OFF' d’Avignon ne pourrait être qu’un ramassis de choses inintéressantes. Alors, laissons parler les chiffres ; sur les 1500 spectacles proposés, 700 sont certainement à considérer comme de vraies créations de qualité qui ne pourraient voir le jour que grâce à cette manifestation. À Avignon, le public reste le maitre « in » du 'OFF'.

Ne soyons pas dupes, le festival est aussi l’occasion pour certaines compagnies d’obtenir des services culturels de leur région un soutien financier bienvenu. Ne nous voilons pas les yeux non plus, de nombreux producteurs professionnels aux dents longues investissent les lieux les plus confortables pour promouvoir des artistes de demain sur lesquels ils vont miser. Aussi, plusieurs spectacles, souvent sans intérêt et sans originalité, surfent sur la vague des séries télé en les déclinant à outrance.


QUELQUES SPECTACLES VUS PAR HERVE MEILLON


Certains bonimenteurs savent comment attirer le manant. Les titres des spectacles proposés sont certaines fois d’une tristesse, d’une banalité et d’un plagiat affligeants. Je me suis fait embobiner dans la rue par les comédiens charmants et attrayants d’une troupe française de Montpellier proposant « Conclave Story » ou l’élection du nouveau pape à la manière de ‘love story’. Pas indigeste, mais frôlant cependant la nausée.

Notez une comédie à la Feydeau sur Feydeau où j’ai cru bien m’amuser puisque écrite par Eric-Emmanuel Schmitt, d’ailleurs présent de tout côté cette année au pays des cigales aphones. Les droits d’auteur de cette plaisante pièce « Georges et Georges » ont déjà été bien rétribués en 2014 au théâtre parisien ‘Rive Gauche’ dont Schmitt est le propriétaire. « 


*Georges et Georges » a été montée pour Avignon 2022 par une troupe française qui en avait acquis les droits. Ce vaudeville avec portes claquantes à tout bout de dialogue m’a empêché de m’assoupir sous les climatiseurs. Les spectateurs étaient venus pour voir du Schmitt, mais que nenni, car le spectacle n’a pas fait l’unanimité. Schmitt aime trop se faire plaisir dans son écriture qui parfois reste un peu empressée.

J’ai vu près de trente spectacles du ‘OFF’ en y essayant tous les genres ! Donc, j’ai raté certainement des pépites, mais Dieu merci aussi des crottes dans lesquelles je n’ai heureusement pas marché… Comme dirait Céline : « la merde a de l’avenir. Vous verrez qu’un jour on en fera des discours. »


QUELQUES BELGES EN AVIGNON

Tout d’abord des choses à savoir sur le système et les finances publiques belges investies à Avignon.

Il y a vingt ans, la Fédération Wallonie-Bruxelles a acheté un bâtiment à Avignon pour en faire le théâtre des Doms. Cette initiative, nous la devons (au sens propre du terme) à l’omniprésent Rudy Demotte, lorsqu’il était ministre du Budget, de la Culture et responsable des infrastructures à la Communauté française avant d’en devenir ministre-président. Un théâtre permanent dédié à la francophonie de Belgique. La direction actuelle de ce théâtre continu en Avignon est composée d’une équipe de cinq personnes à plein temps et d’une trentaine de contractuels lors du festival ‘OFF’. La subvention allouée avoisine le million d’euros et est répartie à 30 % pour la structure et 70 % pour remplir la mission culturelle et artistique ; un budget néanmoins non chiffré et non indiqué. Près d’une centaine d’artistes profite de cet avantage après avoir été soumis à une enquête sérieuse sur la qualité artistique de leur projet. Il est à noter que tous les métiers attenants et indispensables au spectacle (régisseur-attachés de diffusion - ingénieurs lumières et sons etc…) sont compris dans le budget. Quels sont les artistes et créateurs qui ont droit à ces avantages fournis par nos impôts ? Il semblerait que tout le monde ne soit pas à égalité face à cette aubaine !


À repérer aussi l’initiative de Rudy Lejeune, créateur de la plateforme « What the fun  ». Associé au ‘Kings of Comedy Club, et à ‘La vie est une fête’, il a obtenu que quelques humoristes ‘stand uppers’ bruxellois puissent bénéficier d’une subvention de la part de hub.brussels (l’agence pour l’accompagnement de l’entreprise) afin d’emmener ces jeunes privilégiés se produire à Avignon.

Visiblement, il semblerait que l’humour s’exporte donc à l’étranger comme une bonne bière ou notre chocolat. Neuf artistes entrepreneurs non débutants ont été choisis sur la base absolue qu’ils soient bruxellois et aient déjà un spectacle à présenter.

L’export a-t-il fonctionné, l’avenir le dira ?!


Sur son post Facebook, le Belge Miguel d’Argenteuil qui en est à son septième Avignon comme diffuseur et programmateur, nous fait part de son mécontentement et désappointement. Cette année, il produisait deux spectacles : « Athos », et « Maitre, vous avez la parole ». Il s’insurge avec virulence sur le business fait autour du festival, les prix exorbitants des salles et des appartements pour loger les troupes ainsi que sur l’opacité financière des sponsors et l’aptitude des organisateurs.

Miguel de Meeus insiste sur un point délicat en signalant les abus du comité de direction :

« …/… À 331 euros d’inscription, par spectacle, rien que pour le OFF, le chiffre est simple : 519.670 euros de rentrée immédiate pour le comité organisateur ! .../… Les règles imposées par les nouveaux patrons nommés en mars à la direction du Festival ! suite à l’éviction des précédents, si, si !!!! n’ont absolument pas été respectées. À se demander d’où viennent ces ‘ nouveaux ‘… s’improvisant gérants…/… À peine 20 personnes présentes comme auditoire à ces débats stériles (à mon sens) organisés durant le festival… qui permettait au « bar du OFF » d’engranger des bénéfices faramineux… /… Le Festival d’Avignon est réputé pour être le « mercato du spectacle vivant » : cela induit la notion « découvertes », des créations, de nouveaux spectacles…. Pourquoi des noms déjà reconnus accaparent les salles, ne fût-ce que pour quelques dates ? Que font-ils-là ? Ah… ils veulent tester leur « nouveau » spectacle ? Mais qu’ils aillent se faire foutre ailleurs, plutôt que de nous VOLER nos spectateurs ? C’est quoi cette mentalité du Comité Organisateur ? Pour attirer du monde ? Mais c’est un non-sens lamentable ! »

Sans subventions, quelques Belges se sont lancés avec courage dans l’aventure couteuse et risquée du ‘OFF’. En exergue, le futé et talentueux Michael Dufour qui dans la cité depuis dix ans, affiche complet en invitant sans cesse le public à faire « L’amour avec un Belge ». Après cette libido prolongée, attendra-t-il le bide au lit pour changer sa programmation aguichante et entremetteuse ?

J’ai croisé un Jérôme de Warzée en chaleurs, à maintes reprises distribuant, le crane ruisselant, les tracts pour « Molière, l’Opéra et… les Femmes » avec Carmela Giusto sa protégée du « GRAND CACTUS ». Le spectacle foisonne de qualité, mélangeant l’humour et de très sérieux opéras italiens qui auraient influencé le jeune quadri centenaire Molière. Un spectacle ‘humoristico musical’. Mais comme il est impossible de tout voir à Avignon, celui-ci reste un de mes regrets, car je n’ai pu y assister… Revanche sera prise à la Comédie Claude Volter de Woluwe-Saint-Pierre du 2 au 13 novembre. À propos, Jérôme de Warzée m’a confié entre deux gouttes de sueur qu’il allait tout doucement penser à remonter sur scène… mais promesse de canicule n’est-elle pas ridicule ?


MANON LEPOMME avec « JE VAIS BEAUCOUP MIEUX ! MERCI. » Un titre qui fait suite à son précédent spectacle qui se nommait : « Non, je n’irai pas chez le psy » joué plus de 400 fois ! Dégageant une belle énergie, qui anciennement s’exprimait à grands coups de gueule, Manon Lepomme était un peu criarde. Avec un plaisir non dissimulé, elle garde son accent de Flémalle. Oufti !

Autrefois, je lui trouvais la gaieté forcée. Avec quelques Avignon à son compteur, Manon, 33 ans, s’amuse aujourd’hui avec un beau mélange de tendresse et d’humour sans chercher à nous arracher le rire à tout prix. Son identité dans son nouveau spectacle est une force. Pas de vulgarité, pas de vannes pour la vanne, accessible pour tous avec une honnêteté en guise de message. Elle a une passion pour François Pirette qui est pour elle un exemple, elle connaissait ses sketchs par cœur. On ressent aussi l’influence de Renaud Rutten qui mériterait plus que d’être considéré simplement comme un raconteur de blagues.

Manon a une vraie lucidité volubile et respectueuse sur scène. Un rythme époustouflant. Elle joue avec son physique sans complexe, jamais violente avec le public. Le jour où nous avons assisté au spectacle, il y avait un monsieur qui au premier rang n’avait pas mis son appareil auditif et dès lors des interférences provoquaient un léger grésillement dans les baffles. Un bruit de cigales qui gênait Manon… Après s’en être inquiétée auprès du public, elle a découvert le souci et le monsieur a avoué que s’était certainement à cause de lui. Manon, avec une gaieté désopilante, sans jamais choquer, en a fait un numéro extraordinaire rallongeant ainsi sa prestation d’au moins dix minutes. Manon est en puissance et nettement moins en force pour provoquer le rire comme elle le faisait autrefois. Manon est complice et plus du tout bagarreuse. Les gens sont ses compagnons. Elle a remballé son stand up au profit d’un vrai spectacle, elle est dans la réalité n’hésitant pas à jouer avec ses origines italiennes du côté de sa maman. On aime son ‘nono’ et sa ‘nana’. Le monde des grands du spectacle va devoir compter avec Manon. On lui souhaite une immense carrière qui est dans les mains d’une maison de production française ! Merci à Éric Marquis le Belge, d’avoir permis à Manon de devenir ce qu’elle est, en la présentant régulièrement dans ses théâtres de ‘La comédie centrale’ à Charleroi et Liège.


YVES HUNSTAD et EVE BONFANTI avec « DÉTOURS ET AUTRES DIGRESSIONS »


Eve Bonfanti et Yves Hunstad nous racontent, dans cette prestation de 90 minutes, les coulisses d’une création. À la sortie du spectacle, on n’est ébranlé par la prestation réaliste et humoristique, mais aussi par la conscience que créer un spectacle n’est point chose aisée !

Dès le départ, le public est embarqué dans une conférence scientifique sur le fonctionnement du cerveau pour aller ensuite de digression en digressions comme si le spectacle n’était qu’une grande répétition. Le public est surpris, car il est très vite averti que le spectacle sera interrompu par une interview en direct depuis le Canada concernant justement ce spectacle qu’à tout moment les artistes interrompent comme s’il n’était pas terminé.

Les détours et autres digressions ne nous détournent pas pour autant du texte et on se rend compte alors de la subtilité du contenu que les comédiens veulent bien nous faire découvrir. Yves Hunstad, assis sur un fauteuil rouge, nous entraine très sérieusement sur l’immensité de l’univers tandis que sa partenaire, Eve Bonfanti, essaie de se retrouver dans les feuilles et indications. Elle parvient toutefois à raccrocher tandis que le technicien intervient en exprimant ses difficultés à se retrouver dans la suite de la pièce. Les comédiens gardent leur calme en distribuant aux spectateurs des feuilles de papier et crayons afin qu’ils notent leurs questions à poser après la prestation afin de mieux comprendre ce spectacle achevé inaccompli. Le public ne semble pas perdu tant le jeu des comédiens est d’un réalisme qui pourtant devrait nous entrainer dans le surréalisme. C’est délicieusement réjouissant. Le terrien devient un cosmique comique ! On regarde la planète de loin en l’intégrant dans l’univers. Et pourtant, le technicien interrompt les scènes, rappelle le timing ainsi que l’interview prévue avec la radio canadienne. Alors, on saute des scènes pour être raccord avec le temps imparti et le technicien pète les plombs. L’interview tombera en plein milieu du spectacle empêchant les spectateurs de connaitre la fin de l’histoire racontée.

Eve Bonfanti et Yves Hunstad, tandis que le temps file, nous entrainent dans un esprit joyeusement subversif, jouant sur une corde entre le vrai et le faux, entre fiction et réalité. Nos deux Belges sont d’une grande finesse et resteront toujours inclassables dans ce monde du spectacle où l’argent est roi. Le tandem prend des chemins de traverse avec une spontanéité artisanale et théâtrale, hors du champ grand public et pourtant accessible sans être absurde.

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