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« LE FACTEUR CHEVAL OU LE RÊVE D’UN FOU »


Une certaine génération peut se souvenir des automates belges « Les Frères Taquins » qui se sont produits de 1988 à 1992. Depuis leur séparation, Elliot Jenicot a poursuivi sa carrière en solo en se baladant dans des univers artistiques très différents en tant que clown et mime plus tard. En 2011, il joue à Paris, au théâtre du Gymnase, durant un an… L’administratrice de la comédie française de l’époque, Murielle Mayette, le repère et trois mois après il fait son entrée comme pensionnaire dans la maison de Molière. Sa vie est bouleversée, il doit avec son épouse Corinne et ses deux enfants quitter définitivement la Belgique. La décision se prend en famille pour ce grand chambardement. Corinne alors que Elliot (de son vrai prénom Éric) est hésitant, ne veut pas que son mari regrette toute sa vie cette formidable consécration. Ils vendent leur maison de la région de Charleroi. Leur fille de 12 ans est plus triste, car abandonner ses copains l’angoisse. Aujourd’hui à 23 ans, c’est une Parisienne pure et dure. Le fils, sans hésitation, alors qu’il venait de rentrer à la Cambre calcule que le Thalys n’a pas été inventé pour les chiens ! L’aventure exceptionnelle au sein de la maison de Molière durera jusque septembre 2019.

Malgré la Covid qui paralysera le métier… Elliot peaufinera un spectacle hommage sur Raymond Devos, joué à la comédie française. La vie étant bien faite, les spectacles en attente s’enchaineront ensuite à l’étranger et en France. En octobre, il sera à l’affiche du VOO du Rire à Liège pour le centième anniversaire de la naissance de Devos.



ELLIOT JENICOT, aujourd’hui 60 ans s’est vu embarquer dans la folie d’un spectacle en remplacement d’un comédien pour jouer à Avignon. Il a eu trois semaines pour mémoriser un texte ardu et poétique sur la vie du FACTEUR FERDINAND CHEVAL. Pièce adaptée d’après le livre de Nadine Monfils par l’autrice, elle-même.


LE FACTEUR FERDINAND CHEVAL (1836-1924) est originaire de la Drôme des collines, la rocailleuse et non la provençale du pays des cigales.

Le livre de Nadine Monfils est quelque peu romancé, mais qu’importe l’histoire relate le rêve d’un fou que la mort poursuivra toute sa vie. Ferdinand Cheval perdra des êtres proches et l’éternité devient pour lui une obsession. Exerçant le métier de facteur à pied, il parcourt chaque jour une longue tournée de plus de trente kilomètres.

À l’âge de 43 ans, il bute un jour sur une pierre. Il revient sur ses pas et la déterre, la contemple, la soulève, l’admire, la chérit. Cette pierre lui parle. Cette pierre l’envoute. Elle correspond à ses rêves et à ses méditations. Il écrira plus tard que cette pierre est ‘source de vie’. Son passé et sa mélancolie, comme forme de vengeance, lui donnent l’envie de réaliser son rêve : celui de construire un Palais. Cette pierre deviendra la première d’un édifice qu’il construira pour ‘enterrer ses douleurs’. Chaque jour, après sa tournée, accompagné de son éternelle brouette, il retourne chercher les pierres qu’il a aimées pour bâtir ce qu’il appellera son Palais idéal. Il les amasse et édifie les prémisses de son œuvre. Il s’élève et élève sa forteresse. Les villageois parlent de lui en bien, mais aussi en termes peu réjouissants. Il inscrit des épitaphes et légendes dont il inonde son palais. Il écrit lui-même une biographie officielle tenue dans son journal quotidien.

Trente-trois ans après, en 1912, Ferdinand Cheval a 77 ans et déclare son palais terminé. Mais cette année-là, la mort s’acharne sur lui, il perd son dernier enfant. Il décide alors de construire un mausolée dans le cimetière du village parce que la loi lui interdit d’être enterré dans son Palais comme il le désirait.

Le 19 août 1924 à 9 heures du matin, Cheval s’en va pour sa dernière tournée éternelle.

45 ans plus tard, en 1969, le ministre de la Culture André Malraux, après moultes controverses de cultureux ministériels, le Palais est déclaré monument historique.

À Hauterives, son village situé dans le département français de la Drôme, de nombreux visiteurs vont toujours admirer l’œuvre de ce facteur du nom de Cheval.


Pardonnez-moi peut-être d’avoir été aussi long sur l’histoire de Ferdinand Cheval, mais il a été le héros de mon enfance tant ma mère m’en racontait les péripéties et le tenait comme un exemple de vie. Mes parents reposent là-bas pour l’éternité !



RENCONTRE avec Elliot Jenicot, homme de défi qui nous raconte l’aventure

hors du commun d’une pièce qui a failli ne pas être jouée… L’histoire des rêves des passionnés endurants : Alain Lempoel, Pierre Pigeolet, Nadine Monfils.


LES RÊVES SONT TOUJOURS DES SOURCES DE VIE


En fait, Elliot vous vous êtes embarqué dans cette aventure, dans cette pièce de Nadine Monfils sur le facteur Cheval un peu par hasard !

Le metteur en scène de la pièce se nomme Alain Lempoel, magnifique comédien et aussi producteur. Nous avions déjà eu des projets ensemble. Un jour, il me donne un coup de fil pour me parler de nos projets, mais je sens bien q

u’il a quelque chose à me demander ! Il m’explique qu’il est très embêté, car il doit monter une pièce pour le festival d’Avignon, mais que le comédien a un problème de santé qui l’empêche de jouer… Sans se plaindre, il me dit que tant pis, il va perdre sa co/production et qu’il essaiera de trouver une solution pour la jouer plus tard en Belgique… Mais très rapidement il me demande si je connais l’histoire du facteur Cheval… Je lui réponds que non et avec une diplomatie habile Alain Lempoel me propose de m’envoyer le texte. Nous sommes le 14 juin. J’étais en train de travailler sur un autre spectacle. J’accepte avec plaisir de lire, mais pas tout de suite ; et là il insiste avec courtoisie pour que j’y jette un œil avant… Sans rien lui promettre, je lui fais comprendre que cela ne sera pas simple, mais que je vais essayer… Une heure après, j’avais sur mon ordinateur le texte que j’ai lu en un jet ! Soixante-sept pages que j’ai bouffées en trouvant cela superbe.

Et alors, vous allez foncer et vous dites oui ?

Pas vraiment ! C’est vrai que je lui envoie un texto précisant que cela m’avait beaucoup plu, mais que je ne sais pas où, comment et quand le faire ? Oui, je lui dis que je pense qu’il faudra que je joue ce spectacle. Il me répond : le 7 juillet ! Je rétorque : 2023 ? Et lui : non 2022…

Alain conclut : On se téléphone ! J’ai tenté de préciser : Mais tu te rends compte c’est dans 20 jours ? Lui se sentait satisfait et cérémonieux : Te sens-tu la force de relever ce défi ? Je me suis alors senti enchanté : Mais enfin, il y a 67 pages… Silence radio : je te donne la réponse ce soir ?


Vous sentez à ce moment-là que votre décision est prise et que les vacances vont vous passer sous le nez ?

Tout à fait, nous avions prévu des vacances à la montagne en famille… vacances que nous annulons.

Et vos autres spectacles ?

C’était des lectures que je devais animer. Je me suis fait remplacer assez facilement, mais j’avais un engagement pour le 30 juin et le 1er juillet pour jouer le spectacle sur Raymond Devos.

Donc vous acceptez le défi en reprenant le rôle ? Mais pourquoi ?

Parce que je suis un peu dingue, on peut dire un peu inconscient, mais sincèrement le texte me touchait vraiment… Il se passait un truc et je n’ai pas essayé de comprendre… Mon inquiétude c’était la mémoire, car pour apprendre un texte pour le théâtre, il faut le vivre. Les 17, 18, 19, 20 juin, j’ai travaillé douze heures par jour. Je suis arrivé à Bruxelles le 21 juin et je connaissais les vingt-cinq premières pages !

Et la réaction d’Alain Lempoel ?

Ravi… Du 21 au 29 nous avons répété de 9 à 12 heures. J’étais en étude de 12 h 30 à 14 heures puis je faisais des ‘italiennes‘ avec l’assistante, Mathilde Pigeolet, pour l’apprentissage du texte. Je répétais avec Alain de 14 à 19 heures, on mangeait et je reprenais de 21 à 23 heures. J’ai fait ça pendant neuf jours.

Alain avait-il déjà toute la mise en scène ?

Il a adapté quelques petites choses par rapport à mon physique et moi j’ai changé ma voix en m’inspirant de mon grand-père.


Une persévérance de vie qu’Elliot Jenicot interprète magnifiquement, avec une recherche vocale rocailleuse à souhait pour se glisser dans la peau du facteur Cheval, un homme hors du commun, mais certainement pas aussi naïf que la légende veut bien le dire. Une mise en scène perspicace, simple, réaliste et originale signée par Alain Lempoel avec cette bonne idée d’avoir proposé l’image du facteur interprété en filigrane et dans une discrétion efficace par le plasticien Philippe Doutrelepont. Nadine Monfils signe généralement des livres trash. La pièce est adaptée de son livre romancé sur ce héros de la rude Provence, et ce avec une poésie et une finesse qui peuvent vous tirer les larmes. Dans le film de Nils Tavernier sorti en 2018 avec Jacques Gamblin, l’histoire est romancée elle aussi et a été tournée à Mirmande. Seules les scènes finales ont été tournées au Palais idéal à Hauterives.

Mais que diable, où serait le rêve sans cela. J’ai du mal à ne pas citer Pierre Pigeolet qui a dû renoncer à interpréter ce rôle, et je sais qu’il y tenait. Heureusement sa fille Mathide, très présente, a fait un magnifique travail d’assistante et sans l’insistance de son talentueux père nous aurions été privés de cette œuvre merveilleuse et magistrale.

Une réalisation de l’humain proposée par des Belges.

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