Auteur : ROSEYNE BACHELOT
Éditions Plon
Servitude rime-t-elle avec malheur ? C’est la question de cet ouvrage qui nous arrache les larmes et nous force au courage. Roselyne la femme multiple impose autant le respect que Corentine. Rage et courage.
Corentine nait en 1890 dans une Bretagne où il faut se battre pour pointer le bout du nez de la chance. Elle deviendra la grand-mère aimante et aimée de Roselyne Bachelot. Roselyne la lettrée nous empoigne cent ans plus tard d’une façon bouleversante sur le parcours de Corentine l’illettrée.
Née d’un père sévère par la virulence de l'époque et d’une mère affaiblie par les grossesses successives … l’avenir de Corentine était simple soit se résoudre à trimer aux champs toute sa vie soit accepter de travailler en dehors de la cellule familiale. La petite Bretonne en larmes est vendue par sa mère, parce qu’elle-même crève de faim, à un marchand de chevaux de Roudouallec. Village rocailleux entre Vannes et Quimper dans le Morbihan. Ce livre est aussi un descriptif de la vie en Bretagne à cette époque-là! Corentine a sept ans : « Les enfants ne pouvaient pourtant travailler qu’à partir de 10 ans. Mais Corentine a voulu rester, car chez son employeur au moins elle avait du pain… La faim va hanter toute sa vie. »
À douze ans, ne parlant quasiment pas le français, elle part comme domestique à Paris. Elle y connaît les humiliations, l'exploitation, le mépris, la violence d'un monde qui n'épargne rien ni personne.
La grand-mère maternelle de Roselyne va en baver sans jamais se poser en victime. Les échecs resteront sa force de vivre. Cette biographie, oui biographie, car même si l’auteure précise que c’est un roman en précisant et justifiant avec force et franchise que certaines identités doivent restées masquées, par pudeur. Les personnages ont tous existé, mais Roselyne insiste sur le fait qu’il fallait qu’elle entre dans l’intimité de leurs sentiments qu’elle a estimés de l’ordre du privé et sans autre explication elle ballait les reproches de biographie dans sa préface : « les raisons m’appartiennent »… no comment, ça, c’est du Bachelot, la déférence franche! Et en plus, elle aurait pu nous le dire en breton, car le livre est truffé de dialogues dans cette langue bretonne. Corentine n’a parlé que le patois de son village jusque l’âge adulte.
L’histoire de cette destinée ressemble, pour moi, donc absolument pas à un roman, il faut avoir un âge ayant dépassé les 70 ans et avoir eu une ‘Corentine’ pour comprendre que tout est tangible. Cependant toutes nos « corentines » n’ont pas eu le même chemin de l’avenir.
On était tous fiers de nos grands-mères, mais les mémés des années 2000 ne ressemblent plus à la Corentine de Madame Bachelot. Il faut absolument se pencher sur le passé pas si lointain de nos ancêtres pour apprécier nos vies de la surconsommation et pouvoir transmettre quelques souvenirs en forme de coffre-fort de la vitalité.
Être pauvre est plus admirable que d’être modeste. Les conditions sociales de nos aïeux du début du 20e siècle ne proposent pas le choix. Le monde ouvrier de ce début de siècle impose la considération et surtout de ne pas oublier que nous avons tous connu ces personnes, pas si éloignées de nous, malgré des générations de plus en plus passagères. Les ‘Corentines’ ne sont pas simplement perchées sur un arbre généalogique familial. Corentine reste une femme de notre époque. C’est un destin collectif des classes populaires qui nous est raconté.
Cette femme est une robuste qui ne se laissera pas assigner par sa classe sociale. Quittant la Bretagne pour Paris, Corentine passe par des placements dans de maisons bourgeoises puis aristocratiques et par un mariage qui se termine tragiquement. Ce seront ses marches à gravir pour progresser. Ses différentes patronnes dominées par leurs époux sont des femmes finalement aux mêmes abimes de soumission que Corentine.
Quelques rencontres lui apporteront de l’aide. Comme Jules cet homme qui devient son époux. Il va lui apprendre à lire et à écrire. Il va la respecter, l’apprivoiser ne la considérant pas comme une épouse enchaînée. Il est la chance de Corentine. Hélas, alors qu’enceinte d’une petite fille son mari va mourir. Il s’appelait Jules Le Bris, il meurt pour la France, le 26 septembre 1914. Il avait vingt-six ans. Les grands mots ‘donner sa vie pour la France’ ne résonnaient pas dans la tête comme un honneur, le seul pour elle c’était l’enfant qu’elle portait de son amour. Cet enfant naitra sous le nom de Juliette : « le temps n’était plus à l’attendrissement et aux mamours. Il fallait se remettre au travail. »
Juliette placée chez une nourrice. Corentine quitte Paris pour la Bretagne. Ouvrière à Nantes dans une usine d’obus, elle soulève des pièces de cent kilos. Des journées harassantes de dix heures avec uniquement une pause de trente minutes le temps d’avaler le contenu d’une gamelle.
Corentine fera des rencontres avec des militants syndicalistes qui vont lui apprendre que rien n’est gagné si l’on ne se bat pas. Elle aperçoit une forme d’horizon constructif. Elle comprend que le combat syndical n’est pas réservé qu’aux hommes. Les femmes prennent leurs destins en main puisque les hommes sont au front. Cependant la lutte syndicale n’apporte pas l’égalité entre les sexes.
Corentine cette femme à la tête haute avait le sens de l’humour. Jamais jalouse, jamais d’excuses de sa faiblesse et de sa fragilité.
Après la guerre, sa vie reprend l’espoir sur la dureté en retournant en Bretagne et en se remettant toute son ardeur à l’ouvrage. Elle monte un commerce de vêtements. C’est ainsi qu’elle rencontre François tailleur, fou d’elle avec qui elle se remariera en mai 1919. De nombreuses femmes jalouses en voulaient à Corentine d’avoir trouvé époux, car tant d’hommes du village étaient morts à la guerre. Un fils viendra au monde en y restant que six ans emportés d’une pneumonie. Yvette, la mère de Roselyne Bachelot, sera la seconde fille du couple. François les poumons rongés par les gaz de la guerre et par l’abus de l’absinthe s’étendra à cinquante-six ans.
Corentine n’avait pas peur de ceux qui voulaient la dominer. La guerre de 1940 montrera sa force hallucinante. Corentine aidera les maquisards.
L’existence et l’exemplarité de Corentine ont toujours accompagné Roselyne. Elles sont un exemple individuel et collectif à leur façon.
Corentine partira en juillet 1969,le jour ou Armstrong pose le pied sur la lune. « Ma grand-mère m’a légué le bien le plus précieux : savoir qu’il faut se battre pour transformer sa vie en destin » écrit et signe Roselyne Bachelot.
Hervé Meillon
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