« APOSTROPHES » L’EMISSION QUI DONNAIT L’AIR D’ETRE INTELLIGENT
Nous sommes le 10 janvier 1975 : naissance du célèbre magazine littéraire sur Antenne 2 pas encore France2... C’était chaque vendredi d’abord à 21h30 et ensuite 22h20, en direct
sur la musique du concerto pour piano n°1 de Rachmaninov. Animé et créé par Bernard Pivot, un diable d’homme. Sachant poser des questions banales avec un respect de « garçon de café » mais en étant tout à fait conscient que cela apporterait des réponses éclatantes d’invités toujours inquiets. L’ambiance montait vite, le café devenait littéraire et malgré les fumées de cigarettes les propos étaient clairs, à la portée de tous. La culture devenait populaire. Pivot définissait son émission ainsi : « C’est un magazine d’idées qui puise sa substance dans les livres qui viennent de paraître. Les livres véhiculent un nombre extraordinaire de vues révolutionnaires, surprenantes ! ».
Le livre était à l’époque peu aimé par la télévision et Pivot devient un empereur proposant avec intelligence ses choix littéraires aux téléspectateurs. Il avait l’art du « plateau » et connaissait les ingrédients qui faisaient l’écoute. Il y avait l’effet Apostrophes, l’effet Pivot attirant des millions de regard. L’émission donnait l’impression d’être intelligent. Ce démon des médias avait l’art de bercer le téléspectateur de mots donnant à chacun le goût à la lecture alors que le programme était finalement conçu pour des non-lecteurs.
Des grandes maisons d’édition faisaient répéter leurs auteurs dans leur bureau pour passer le lendemain à Apostrophes. Avec des caméras installées et avec un faux Pivot comme répétiteur. Ces grandes maisons comme Lattès ou Hachette savaient que certains mots, certaines phrases faisaient gagner 200 à 10 000 exemplaires de plus en vente. Les libraires regardaient l’émission avant d’accepter de mettre les livres dans leurs étalages. Les invités se préparaient physiquement quelques jours avant de passer, ne buvant pas, mangeant moins, ne dormant plus ! « Les hommes optaient pour un style vestimentaire soit très classique, soit sport, moins formel sans cravate » révèle Jean d’Ormesson qui fut un des grands acteurs du programme.
Pourtant, Bernard Pivot calculait moins qu’on peut le croire pour composer son show : «mon plaisir ultime c’est d’ouvrir la caisse de livres que l’on m’envoie chaque matin. C’est la sensualité du livre qui me fourni une véritable jouissance. Les livres, c’est comme les gens, ils ont une belle gueule ou pas ». Dans son bureau bibliothèque envahi de piles de bouquins, un véritable capharnaüm, chaque tas correspond au thème d’une future émission dans une logique bien à lui.
1983 correspond à l'apogée d'Apostrophes en terme d'audience (avec des parts de marché dépassant les 12% après 22 heures) mais aussi à celle d'Antenne 2 devenue cette année-là la chaîne la plus regardée de France.
Le 22 juin 1990, Bernard Pivot, alors âgé de 55 ans préfère arrêter. Lisant plus de 10 heures par jour il veut changer de rythme. Il se dit moins passionné et ne veut pas bluffer le téléspectateur :« Je veux aller au cinéma, retourner au football et vivre différemment ». Mais dans la tête du bouillonnant Monsieur Loyal du livre, une autre idée naissait qui sera aussi source d’audience et de culture, comme quoi les deux peuvent faire bon ménage. Le 12 janvier 1991, Apostrophes fut remplacée par Bouillon de culture, produite et présentée par un certain Pivot.
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